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<<Regardez-les jouer, ces flamboyants enfants ! La neige fend les airs et les rires de même Les boissons et les plats chassent chaque problème Quelques jeux dans la cour et les voilà charmants… Mais vite reprendront les bagarres d’avant « Je suis plus fort que toi » ; « j’ai un plus bel emblème ! » « Toi t’es qu’un grand méchant » ; « toi t’es quelqu’un que j’aime » « Papa Vulmune a dit… » ; « respecte ma Maman ! » La récrée est finie et la cloche s’emballe : Le proviseur Meies punira tout vandale…. Les enfants sauront-ils tous à temps être en file ? Sages d’Académie et Guilde des chasseurs : Bonne chance et courage, estimés professeurs. Pour unir ces gamins… une fête est futile.>> Sonnet porté par le vent ; auteur inconnu.
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Bonjour les gens qui se rappellent de moi ! Bonjour les autres aussi ! Ça fait un ch'tit moment que je joue aux fantômes, et cété très rigolo, mais je suis pas fort, personne n'a peur, à part moi quand je croise un miroir Du coup je vais au ciel pour de bon J'ai découvert depuis quelques années les forums RP, et comme je restais que pour le RP sans jouer au jeu, ben... ça correspond plus quoi Alors merci à tout le monde pour ces années ici ! Les admins, pour leur travail de fou et leur patience ! Les FNous, pour m'avoir appris à faire n'importe quoi (positivement) sur les forums ! Les Niuesiens, pour ces RP d4rk comme tout ! Et pis tous les autres joueurs bien sûr Pis qui sait, si vous passez sur des forum RP, p'têt' ben qu'on s'recroisera. Et z'avez mon Skype sinon, shulia14155 Bonne continuation à tous, et n'oubliez pas : on veut gagner et être le meilleur pour s'amuser... alors ça sert à rien de se pourrir la vie pour être le plus fort, ça perd l'intérêt m'voyez. Et bam, comment j'ai l'air trop malin PS : j'ai carrément oublié mon mdp sur le site alors je peux pas tuer mon compte, si c'est pas déjà fait. Gaffeur jusqu'au bout
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Je m'étais souvent demandé quelle serait ma mort. Mille dangers me guettaient… lequel m'emporterait en premier ? M'éteindre paisiblement, j'avais déjà fait une croix sur l'idée. J'étais trop important, trop dangereux, trop haït, trop peu prudent aussi. A force de jouer de rôles pour survivre, paradoxalement, je n'avais jamais vraiment vécu… Alors, difficile de trouver l'importance de ce que l'on connaissait si mal, de vouloir vraiment la protéger. Ce qui m'animait, ce n'était pas la soif de vivre, mais celle de valeurs : sacrifier l'individu pour le bien commun, sauver l'humanité de la chute malgré elle. Par bonté, ou par absence d'autre objectif ? Question insolvable. Mais le résultat, c'est que je préférais la lutte à ma survie, ce qui compromettait cette dernière… et finirait forcément par me l'ôter. Mais comment ? Par un apôtre des Quatre éliminant l'adversaire ? En face à face ou par assassinat ? Un ancien ami se sentant trahi, finissant par me tuer ? Par un monstre, peut-être même ? Contre un ennemi tel l'Architecte ? Par un avide de pouvoir se voulant régicide ? Je ne comptais pas me laisser tuer, bien sûr. J'avais encore beaucoup à faire. Mais… je n'étais pas un surhomme, loin de là. Juste un pragmatique plutôt débrouillard et doué avec les mots. C'était ainsi que je voyais ma fin. Assassiné, pour mes valeurs. Peut-être était-ce présomptueux… ******************************************************** Cela faisait longtemps que le Régent n'avait plus été vu, ou seulement épisodiquement. Il s'enfermait dans son laboratoire, semblant travailler jour et nuit. Qu'y faisait-il ? Une nouvelle sorte de bombe ? Mais quel type d'explosif pouvait à ce point prendre son temps ? Une bombe biologique ? Sélective ? De quelle puissance ? Capable de détruire une forteresse, un temple ? Les ennemis de Niue devait-il craindre le résultat de ces recherches, ou se réjouir de voir l'un de ses adeptes perdre ainsi son temps ? Et un jour… Une explosion, en pleine nuit, réveilla la ville entière. Venant du laboratoire du Régent… de la fumée, des flammes, des débris partout. Les premiers réveillés se précipitèrent, précédés cependant par les gardes ; les uns curieux, les autres sonnés, les derniers inquiets. Ou peut-être un peu des trois pour chacun. Ils n'imaginaient pas réellement, cependant, que l'incident eut emporté l'artificier. Ce serait tellement… absurde. Inattendu. Surréaliste. Même ses plus francs détracteurs n'osaient l'espérer. Pourtant, quand ils arrivèrent, ces idées fantasques se concrétisèrent. Au centre du bâtiment… un corps explosé, des vêtements verts en lambeaux, des ingrédients pour bombe disséminés. Ce fut brutal. Les premiers témoins crurent à une plaisanterie. Ou à un rêve, ils ne s'étaient pas réellement réveillés. Mais quand l'alerte fut donnée, ces illusions ne purent que se dissiper : l'incident était réel. Peu se contentèrent de la théorie de l'accident, pourtant confirmée par bien des experts ayant examiné le corps. Un assassinat, affirmaient les uns. Une mise en scène pour feindre la mort du rôdeur, suggéraient les autres. Un suicide, osaient des troisièmes. Les dieux eux-mêmes qui avaient fait exploser la bombe, murmuraient les plus pieux. Mille suppositions naissaient, parfois si loufoques qu'on les eut crues nées de l'esprit d'un enfant, pour le meilleur et le pire, par espoir, par crainte, par haine, ou simplement parce que les gens étaient incapables d'imaginer une mort aussi hasardeuse… Et pourtant. L'erreur est humaine, tout simplement. La fortune, bonne ou mauvaise, existe. Les morts absurdes aussi. Un certain laxisme dans les mesures de protection par impatience d'arriver au bout de l'expérience, une erreur de dosage provoquée par la fatigue, un mouvement maladroit dans un vertige soudain… Il n'existe pas de grands destins. Seulement des masques dont se revêtent les "grands hommes", ou que le peuple leur applique d'eux-mêmes, qui donnent à ces êtres une aura presque divine. Mais ils ne sont que des humains aussi. Et c'est en faisant voler en morceau ce dernier masque que Noeleroi, dont nul - et pas même lui - connut le vrai visage, mourut…
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Elle accepta mon aide, scellant ainsi notre trêve. Bien... Je craignais qu'elle refuse par orgueil, ou pire: qu'elle essaye de finir le combat. Enfin... Elle ne devait pas en avoir la force, de toute manière. Comme pour souligner mes pensées, elle cracha du sang, et bascula. Je la rattrapai, par pur réflexe. - Dé…solée… Je ne pensais pas… être dans un état si… faible… J'avais envie de continuer à la porter, ou de la laisser se rassoir; j'avais envie de la rassurer, de lui dire que ce n'était rien; de simplement lui sourire, et espérer qu'elle sourie en retour. Et plus je me découvrais ces désirs, plus mon humeur s'assombrissait. Pourquoi ne pouvais-je pas simplement abandonner cette compassion? Elle n'était nécessaire qu'aux égoïstes, qui avaient besoin de ce sentiment plus fort qu'eux, cet instinct, pour rester sur une bonne voie. Moi, elle ne faisait que me freiner. Et Mystica n'arrangeait rien. Comme si sa faiblesse lui faisait oublier que nous étions ennemis... Alors, d'un air impassible, et d'une voix aussi neutre que possible, je répliquai: - Voilà ce qui arrive, quand on ferme les yeux sur la douleur. Elle se remit sur pieds, tant bien que mal. - Tu parles d’allumer une… bombe ? L’allumer… avec quoi ? Je ne suis pas… magicienne. Je ne peux plus… utiliser mon pouvoir. Seul Croc Ardent me permet… d’utiliser le feu… Les arcanes… - Alors, les brûlures, c'est juste pour moi? Trop d'honneurs... Marmonnai-je. C'était à croire qu'elle faisait exprès de me décevoir. S'énerver quand elle devait être calme, et inversement. Être efficace quand il ne fallait pas, et inversement. Me considérer comme un traître quand je voulais sauver notre amitié, puis jouer les amies proches quand je voulais qu'elle soit définitivement une ennemie. Mais peut-être était-ce cela qui me séduisait, chez elle. Sa façon d'être un électron libre, imprévisible, aux actes presque aléatoires. Moi qui rationnalisais, manipulais, tentais de tout connaître et tout prévoir pour planifier deux coups à l'avance... Avec elle, j'étais sans cesse soumis à l'inconnu, à la surprise, à l'improvisation. Comment allait-elle réagir à cela? Que ferait-elle, dans telle situation? Enfin... C'était une des raisons. Il y en avait d'autres: sa persévérance, son courage... Je soupirai. A quoi jouais-je? Les choses étaient déjà suffisamment compliquées. - Il faut trouver… autre chose. Elle s'écroula à nouveau, mais je n'y prêtai pas attention. Elle venait d'avouer son inutilité: je n'avais plus à en prendre soin. Je réfléchis. Nous étions dans les oubliettes et, même si les gardes étaient parfois surprenant d'inefficacité, il ne fallait pas exagérer: sans aide extérieur, il était presque impossible de s'échapper -et ce n'étaient sûrement pas deux blessés à bout de force qui y arriveraient. Il ne restait qu'un espoir... Et il se concrétisa. Un quart d'heure plus tard, une ombre passait devant les barreaux: une clé fut jetée, ainsi qu'un récipient rempli. La silhouette disparu, sans qu'un mot ne soit dit. Un partisan des Sentinelles, au sein de la garde... Bha. Nous avions bien un régent qui en était une. Je ramassai la clé, et ouvris la porte. Bien... La première étape était faites. Je jetai un œil à la fiole: une potion de guérison. Je la pris, et en bu la moitié. Puis je regardai la guerrière... Que devais-je faire? La laisser ici? Bha... J'avais déjà décidé: elle venait. Et, à la moindre anicroche, elle servira de diversion pendant que je fuirai. Je suis bien plus rapide et agile, et les gardes n'ont pas pour habitude de chercher la difficulté: s'ils cherchaient à attraper quelqu'un, ce serait elle. Je lui donnai le reste de la potion. - On y va. Sans la regarder, j'entrai dans le couloir, et marchai un peu, jusqu'à atteindre une autre cellule. L'assassin dormait dedans... Je jetai la clé dans la cellule, juste devant son visage. Il ne pourrait pas la rater... Je jetai un œil à la guerrière. Elle m'avait vu faire... Connaissait-elle le "métier" de cet homme? Bha! Si ça ne lui plaisait pas, tant pis pour elle. Et elle pouvait toujours essayer de tenir ma réputation avec cela: tout le monde savait que nous étions ennemis, et elle n'avait aucune preuve. Personne ne la croirait... Malgré tout, je restai sur mes gardes en continuant de marcher. Si elle essayait encore de me frapper, non seulement elle allait rater, mais en plus, j'allais la faire tomber. Marre, de jouer les sacs de sable...
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Mystica s'agitait dans son sommeil. Un mauvais rêve, dans doute... Devais-je la réveiller? Non, s'exclama une petite voix,dans un coin de mon esprit, avant même que je ne réfléchisse vraiment. Pourquoi? Je méditai dessus, et compris peu à peu. Pas parce qu'elle devait se reposer, ou parce qu'autrement, elle recommencerait à me casser les pieds. Non, c'était justement parce que ça pourrait l'aider. Et, inconsciemment, je me refusais à témoigner la moindre gentillesse, la moindre compassion envers elle. Et ce, pour la même raison que la dureté de mes mots, avant de commencer l'affrontement... Je l'appréciais bien plus que je ne voulais l'admettre. Mais je savais que j'allais devoir la tuer, ou, en tout cas, l'enfermer, et détruire le monde tel qu'elle le connaissait. Alors, j'essayais de mettre le plus de distance possible entre nous, de briser nos liens par la méchanceté, de ne plus la considérer comme amie... En vain. Quand je la voyais à terre, blessée, sanguinolente, aux portes de la mort, je ne pouvais empêcher mon cœur de se serrer. Physiquement comme mentalement, nous n'avions décidément aucune prise sur lui... Une révélation inutile, cependant. De toute manière, j'allais la tuer. Je ne pouvais me forcer à ne pas l'aimer, mais je pouvais passer outre. Que valait sa vie, face à l'humanité entière? De quel droit l'épargnerais-je, elle, sous prétexte que je l'aimais plus qu'un autre? Il le fallait, pour notre mission. Etait-elle bonne? Contrairement à ce que l'ignée pensait, je n'étais pas un fanatique endoctriné. Cette question, je me l'étais posée cent fois, mille fois. Chaque matin, chaque fois que le sang tâchait mes mains, chaque fois que les noms "sentinelles" ou "Niue" étaient évoqués... Mais la réponse était la même, à chaque fois: oui. J'avais été esclave, traité comme pire qu'un animal. Or, ce n'étaient pas les chaînes, le plus douloureux, le plus infâmant. On se faisait bien vite à ces entraves. Non, ce qui transformait cette carrière en enfer, c'étaient le fouet, les sévices, la faim. C'était contre cela qu'il fallait lutter, dussions-nous sacrifier la liberté à l'autel du bonheur. Pourquoi ne pouvaient-ils pas, ne pouvait-elle pas comprendre quelque chose de si simple? Pourquoi étaient-ils convaincus que nous ne voulions que détruire, sans rebâtir après? Il ne fallait pas chercher bien loin: parce qu'ils étaient égoïstes. Eux, ils n'étaient pas malheureux, grâce à leurs dons martiaux ou magiques. La loi du plus fort leur convenait bien, et peu importait qui ils avaient à écraser pour se maintenir au-dessus des nuages. Ils ne voulaient pas changer leur mode de vie pour d'illustres inconnus... Et Mystica faisait partie de ces gens. Un obstacle. - No…e ? Ha... Elle s'était réveillée. Je croisai son regard, et la vie qui s'y lisait fit naître un début de soulagement, malgré moi. Je détournai le regard. Il me la fallait en vie, mais uniquement le temps de sortir de cette foutue prison, point. - Encore en vie? T'es décidément coriace... Je me levai lentement, et m'approchai d'elle. J'avais encore mal, mais moins: mon corps avait eu le temps de s'en remettre. Cependant, si je devais affronter ne fut-ce qu'un garde, le résultat serait connu d'avance... Elle était encore à terre, sans doute trop affaiblie pour se relever rapidement. - Je vais faire simple: ou l'on s'entraide pour sortir d'ici, ou l'on meurt tous les deux. Je suppose que tu n'as pas plus envie de te sacrifier pour entraîner l'autre avec toi, que moi. Que décides-tu? Je tendis ma main, pour l'aider à se relever. - Le plan est simple. La nuit devrait être tombée, nous en profiterons pour sortir. Pour la porte de la prison, j'ai une bombe, il te faudra l'allumer. Je la détaillai du regard. Après la porte, que ferai-je? Je pouvais l'abandonner à son sort, et partir devant. J'étais bien plus discret qu'elle, elle ne serait vraisemblablement qu'une gêne, un poids. Sauf que si je le faisais, elle allait hurler, et rameuter tous les gardes. Et elle se méfiait trop pour que je lui fausse discrètement compagnie... Bon, et bien, soit. J'avais besoin de son feu, j'étais forcé de conclure cette alliance. Et puis, elle pourra me servir de diversion, si je m'y prenais bien... Si l'on se faisait repérer, je la laisserai combattre les gardes et m'enfuirai.
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La porte venait de s'ouvrir, laissant passer une poignée de gardes. Bon sang... Comment avais-je pu les oublier? Ils étaient à mes ordres, prêt à me défendre à mon appel... Et l'endroit en contenait des dizaines, largement de quoi retenir la guerrière -ou ce qu'elle était devenue. Pourquoi n'avais-je pas appelé à l'aide? Les complications -devoir expliquer ma présence, ne pas pouvoir accomplir ma mission- n'étaient rien, face à ma mort. J'étais un atout important, en tant que régent... La réponse était aussi évidente que stupide: j'avais voulu régler ça moi-même. Quelque part, sans vraiment en prendre conscience, j'avais décidé que nul ne devait intervenir, que c'était une histoire personnelle... Idiot! Quand il s'agissait de mener l'humanité vers l'Eden, il n'y avait plus de personne. Je devais définitivement laisser mes sentiments de côté, pour devenir un outil infaillible... Comment un être incapable de régner sur son propre cœur pourrait devenir le guide de l'humanité? - Où sont-ils ?! Cherchez- les !!!! Soyez prudent, ils peuvent être n’importe où ! Etrange... Ils cherchaient quelque chose de précis? Ce devait être lié à l'élémentaire. Après tout, je ne savais même pas ce qu'elle faisait ici... C'était l'occasion idéale. Elle était blessée, même si elle ne s'en rendait pas compte, et son corps devait commencer à peiner. Que les gardes servent à quelque chose, pour une fois, et la finissent... Et je me fichais bien de savoir combien de vies cela allait coûter. S'ils étaient incapables de vaincre une simple guerrière à trente contre un, ils étaient inutiles... Sélection naturelle! Moins de têtes à payer, et seulement les meilleures. La souffrance, et la colère envers ma propre erreur, me rendaient plus dur que jamais... Et ce n'était pas plus mal. J'allais signaler la position de leur cible, mais elle le fit elle-même. - C’est moi que vous cherchez ? Sur ces mots, elle fit voler sa lame, débutant le combat... Ou le massacre, plutôt. En quelques minutes, elle eut raison d'eux, dans le feu et les hurlements de souffrance. Je ne leur avais pas porté secours: j'étais trop affaibli, m'approcher ne ferait que signer ma mort. Je m'étais contenté de m'appuyer contre un mur, et de me laisser glisser contre, essayant de récupérer ne fut-ce que mon souffle. Elle me jeta un regard; je le lui rendis, froidement. J'avais toujours la bombe, et elle ne pourrait me tuer sans la faire exploser avec. Elle n'était pas du genre à se sacrifier, je ne craignais rien. Elle, par contre... Une nouvelle vague de gardes arrivait. Le combat repris, mais, au fil du temps, elle devenait plus lente, moins forte... La douleur, qu'elle avait ignoré, la rattrapait. Comme cela lui allait bien! Fermer les yeux sur la misère et le malheur, en espérant que cela les fera disparaître... Mais un jour, comme ces blessures, tout cela la rattrapera -nous rattrapera. Sauf si l'on soignait, ou amputait, avant... Finalement, elle ouvrit les yeux. - Que… Non pas ça, pas maintenant… Sa transe prit fin, brutalement. S'ensuivit un hurlement atroce, inhumain. Qu'elle souffre, qu'elle paye le prix de sa folie, qu'elle comprenne la vraie douleur... Et que ce soit son ultime leçon. Elle venait de se révéler dangereuse, bien trop pour que j'accepte de la laisser en vie. Son cri mourut comme il naquit, et elle s'effondra. Alors, je me levai, et m'approchai, tant bien que mal. Ils m'avaient déjà vu: fuir ne ferait qu'aggraver les choses. De toute manière, mon ennemie venait de m'offrir l'alibi en or. S'ils posaient des questions, je dirai que je la poursuivais comme eux -mais il me faudrait bluffer, ne connaissant pas son crime. Il me fallait des soins au plus vite, mais je devais d'abord m'assurer de sa mort. - Bien. Éliminez-là, à présent. J'étais trop fatigué, trop las, et trop souffrant pour faire preuve de diplomatie. Peut-être aurais-je du les féliciter, mais je n'avais pas la force de parler plus. - T'es qui, toi? Qu'est-c' tu fous ici? Je serrai les dents, excédé. Il ne me reconnaissait pas? - Je suis ton chef, "soldat". Alors tais-toi, et obtempère. Ils se regardèrent, et un étrange sourire complice naquit sur leurs lèvres. Leur porte-parole -le plus haut gradé, sans doute- eut même un petit rire, presque cruel. - Vraiment? Faudrait voir à nous prouver ça. J'vois qu'un pauv' type qui va clamser, moi. Il y avait, dans sa voix, une intonation déplaisante. A quoi jouait-il? Nul ne pouvait ignorer mon visage, j'étais leur <i>régent</i>. - Obéissez, et vous serez récompensés pour cette capture. Refusez, et je vous jure que vous passerez de l'autre côté des barreaux, et je vous y oublierai à jamais. Ils éclatèrent de rire, avec, toutefois, une note de malaise. Ils savaient qui j'étais, et tentaient d'exorciser leur peur par le rire. Peste... La situation devenait de plus en plus mauvaise. Soudain, le masque tomba. Le jeu était fini. De l'amusement, son expression passa à la colère. Il me saisit par la gorge -faute de col-, et me souleva. Mes membres pendaient, comme une poupée brisée, et son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du mien. Bon sang... - Alors comme ça, t'es le régent? T'es cette saloperie de sentinelle? Ça fait longtemps qu'on rêve de te mettre la main dessus, crapule. Alors, c'était ainsi. Ils se retournaient contre moi, faisaient leur petit putsch. A chaque fois que ces outres à vin se révélaient courageuses et se retroussaient les manches, c'était pour une mauvaise raison... Je ne répondis pas. A quoi cela servirait-il? Ils avaient déjà été trop loin pour se rétracter, ils le savaient. Je ne pouvais que me taire, et attendre la suite. Il me lâcha brusquement, et je m'écroulai, trop faible pour supporter la chute. - Allez, débarrassez-moi de cette vermine. Mettez-les dans la même cage, tiens, qu'ils s’entre-tuent! Hors de question que je salisse ma lame sur ce déchet: son sang doit être tellement pourri qu'il risquerait de la faire fondre. Ils nous soulevèrent et, impuissant, je ne pus que les suivre jusqu'en prison, après qu'ils nous aient ôtés armes et explosifs. Je me tenais dans un coin de la geôle, jambes repliées, la tête posée dessus. Je sommeillais à moitié, tentant de récupérer un peu d'énergie, mais refusant de baisser ma garde -un garde pourrait avoir soudain envie de se moquer de son prisonnier, en profitant de son sommeil. Quelque part... Cette mort me correspondait mieux. Seul, dans les ténèbres, dans le calme... Tué par un complot, par des gens qui avaient pris des risques pour leurs valeurs... Prisonnier, comme je l'avais été en tant qu'esclave, puis en bouffon de princesse, puis dans mon rôle de doux simplet... Mais je n'allais peut-être pas mourir. Il me restait un atout. Une bombe minuscule, si bien cachée qu'elle avait échappé à leur fouille. De quoi, peut-être, faire sauter le verrou... Mais je devais attendre la nuit: elle serait notre alliée. Et puis, j'avais besoin de Mystica, et son feu. Allait-elle survivre? Je n'en savais rien. J'avais retiré les flèches, et j'avais utilisé ce qui me restait d'énergie pour la soigner -le temps que j'avais passé sur ces terres m'avait doté d'un début de magie. Cela n'avait pas soigné toutes ces blessures, loin de là: je doutais même que cela suffise à la faire survivre. Mais que pouvais-je faire d'autres? Rien. Les gardes nous avaient tout pris, matériel de soin avec...
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Je m'étais demandé si j'étais heureux de cette transformation, parce qu'elle déshumanisait Mystica. J'avais la réponse: non. En temps normal, je n'aurais déjà pas donné cher de ma peau; mais contre cette espèce de machine à tuer, seul un miracle pourrait me sauver. J'étais certain que mes flèches l'avaient touchée, au moins une... Et pourtant, elle se mouvait comme si elle n'avait jamais été blessée. Etait-elle invincible? Non. Autrement, elle aurait utilisé ce pouvoir pour détruire les Sentinelles toute entière. Dans ce cas... Elle ne ressentait plus la douleur. Elle laissait son corps se détruire, elle se coupait de l'information la plus vitale. Elle était presque impressionnante: à chaque fois que je me disais qu'elle ne pourrait pas m'exaspérer plus, elle s'arrangeait pour me prouver le contraire... Que voulait-elle? Se suicider, et m'emporter avec? Soit! Qu'elle meurt! Mais ce sera sans moi. Mais, malgré ces belles paroles, mes blessures s'accumulaient, se multipliaient, commençaient à couvrir mon corps. Le visage, d'abord. Heureusement, le coup fut trop rapide pour que les flammes me défigurent. Malheureusement, la lame, elle, ne me rata pas: une large estafilade me parcourait le visage. Je ramassai ma manche arrachée à terre, presqu'à l'aveugle, et la noua autour de mon front, pour éviter que le sang ne me coule dans les yeux. Le coup d'après me frappa au bras, toujours le même. Il n'avait pas été facile de tirer à l'arc avec la première blessure; c'était à présent chose impossible. Et, enfin... Mon bras valide ne le fut plus. Je lui avais infligé des dizaines, des centaines de coupures. En temps normal, elle peinerait à brandir son épée. Mais elle semblait fraîche comme à la première seconde de cet affrontement. Moi... Je peinais à brandir ma dague. J'étais caché dans la fumée, pour l'instant. Tant que je ne bougeais pas, elle ne pouvait savoir où j'étais. Mes bras torturés ne me répondaient plus qu'à contrecœur, et jamais sans m'infliger une "cuisante" douleur. Le couloir empestait la viande grillée, et finissait d'embrumer un esprit déjà au martyr. J'allais mourir, ici, tué par la créature la plus contradictoire que je connaisse... Si, au moins, je périssais au nom de vraies valeurs, de la main d'un idéaliste déterminé à mener l'humanité sur une voie meilleure! Mais non... Ma mort serait le fruit d'une impulsivité, d'une incapacité à prendre un autre point de vue, d'une frustration mal digérée... Non, je n'abandonnais pas. Je ne céderai jamais au désespoir. Mais j'étais réaliste: j'étais un fétu de paille face à un brasier. Un fétu aux bras brisés, au corps brûlé, au visage ensanglanté, face à un brasier ardent, implacable, insensible. Quant à fuir, c'était impossible... Il me faudrait ouvrir une porte, et le bruit la rameuterait en un instant. J'allais mourir, c'était une quasi-certitude... Mais pas tout seul. Elle voulait m'emmener aux abysses en m'y tirant... Hors de question qu'elle s'en extirpe. J'avais abandonné mon sac au début de l'affrontement. Je marchai jusqu'à lui, sans un bruit, tel un fantôme -n'en serai-je pas bientôt un?-, espérant que la fumée me cache. Je l'ouvris, et pris ce qu'il contenait, soigneusement enveloppé dans une série de protection diverses. Une bombe, largement suffisante pour souffler deux personnes... Ou plutôt, ce qu'il en resterait. Je l'entendais d'ici, tiens. "Quelle méthode de lâche". Ha, la fierté! Voilà bien une valeur vaine, destructrice, pleine d'entraves et si proche de l'orgueil. Ma seule valeur, c'était le bonheur de l'humanité. Peu importe à quel point mes mains sont ensanglantées: la réussite de mon objectif les lavera mieux que n'importe quelle eau. Mais je ne pouvais plus rien faire, à présent. Ou juste une chose: éliminer un obstacle sur la voie de cet Eden... Je me relevai, cachant la sphère funeste dans mon dos. Je fis un pas bruyant, pour qu'elle m'entende. Il fallait qu'elle m'approche... Elle me vit. - Tu crois pouvoir m’échapper ? Utiliser tes artifices contre moi ne servira à rien dans un tel endroit. Rends-toi à l’évidence ou périt par ma lame… Je m'étais rendu à l'évidence... Et je ne périrai pas par sa lame. Artifice, hein? Elle ne croyait pas si bien dire... Elle marchait lentement, loin de se douter que chaque pas la rapprochait de l'enfer. Approche, Mystica... Stupide ignée, gamine gâtée, guerrière impulsive, ancienne amie... Toi qui aime me comparer au vent, malgré mon mépris pour Eolia... Tu apprendras qu'une tempête peut éteindre n'importe quel feu. Elle était assez proche, à présent. Je n'avais plus qu'à bondir vers elle. - Adieu, soufflai-je. BOUM
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Mes mots avaient faits mouche: la rage se lisait sur chacun de ses traits, chacun de ses gestes. Je n'avais plus qu'à espérer que cela l'affaiblisse, comme prévu... Car, plus le temps passait, plus je me rendais compte de la stupidité de mon acte. Elle était une combattante née, faites pour combattre de front; j'étais tout -assassin, diplomate, acteur, ...- sauf cela. De plus, ce lieu clos était une véritable prison: j'aurais eu des chaînes que je m'en serais senti aussi entravé. Un combat ici n'était rien de moins qu'un suicide... Une telle erreur, cela ne me ressemblait pas. Pas du tout. Alors, pourquoi? La réponse était évidente: je m'étais laissé emporté. L'ignis avait le don de me mettre hors de moi, comme si son absence de sang-froid était contagieuse... N'était-ce pas le propre du feu, d'embraser tout ce qui s'approchait de trop près? Elle qui ne jurait que par le fer, ne répondait que par la violence, brûlait de ton son saoul, chaotiquement et sans limite... Elle n'était pas de cet élément pour rien. Or, comme pour me contredire, elle ferma les yeux, comme pour se calmer. Elle se fichait de moi? Quand je la voulais calme, elle explosait à chacun de mes mots; et quand, pour une fois, son impulsivité m'arrangeait, elle la réfrénait? Encore une fois, je sentis la colère monter en moi... J'en aurais presque ri: c'était moi qui allait exploser, et elle qui allait rester sereine... Mais un événement étrange vint doucher mon humeur. Sa chevelure s'éleva, se teinta, à l'image de son épée. Cela n'augurait rien de bon... Comme si j'avais besoin de ça! J'avais déjà un pied dans la tombe, elle venait d'y mettre le second. - Très bien, si on doit en arriver là… Et quelle autre issue imaginait-elle? C'était elle qui rendait l'affrontement inévitable. Si ses insultes avaient un autre but, j'étais curieux de le connaître... Elle ne semblait plus elle-même. Elle était comme en transe, presque possédée... L'était-elle? Elle brûlait comme si Vulfume en personne était en elle... En étais-je heureux? Serait-il plus facile de la tuer, maintenant qu'elle n'était plus celle que je connaissais -avais connue? La question était vaine. Je ne pouvais rien y faire, de toute manière. Et, surtout, je n'avais plus le temps de penser à cela... Elle lança sa première attaque, que j'esquivai de justesse. Je sentis cependant les flammes de sa lame me lécher, comme une promesse à se retrouver... Non. Je ne devais pas me laisser intimider, la peur ne ferait que m'affaiblir. Se concentrer sur la bataille, sur le prochain mouvement... Je lui décochai un coup rapide, avant de reculer. Elle ne le sentit même pas... Avait-il été inefficace, ou ne ressentait-elle plus la douleur? Je n'avais plus l'impression de combattre une humaine, mais un monstre... Qu'avait-elle encore en réserve? Mieux valait la déborder, avant qu'elle n'aie le temps de me le faire découvrir. Je partis à l'assaut, prêt à éviter son prochain coup. Sauf qu'elle n'en donna pas tout de suite: elle s'arrangea pour se retrouver dans mon dos, et m'atteindre au bras. La douleur fut atroce, insupportable. La lame trancha peau, veines et muscles, faisant jaillir mon sang; et surtout, les flammes me rongèrent la chaire, cloquant ma peau, déchirant son tissu, torturant chacun de mes nerfs. Je serrai les dents, tentant de contenir la douleur. Je ne lui ferai pas le plaisir de montrer ma souffrance... Ou était-ce sa pitié que je redoutais? Qu'elle montre des sentiments, qu'elle me rappelle que, malgré son apparence actuelle, c'était une humaine, une amie, que je cherchais à tuer? Tsss... Pourquoi n'arrivais-je pas à arrêter de penser? Je devais me battre, point. Ma manche s'était embrasée, et je dus l'arracher vivement -presque frénétiquement. Quand ce fut fait, je décidai de retirer le reste de mon haut: non seulement il risquait d'étendre le feu à tout mon corps mais, surtout, il pourrait se fondre dans ma peau... Je gardai néanmoins le bas. Je n'oubliais pas où nous étions: si un garde nous voyait, il était hors de question que ma crédibilité eut à en souffrir. Un régent ridicule ne régnait que sur son titre... Mon torse était couverts de blessures. Celles que je m'étais faites sur ces terres, mais surtout les nombreuses traces de coups de fouet. Elles étaient petites: les cicatrices ne grandissaient pas avec le corps, et j'avais reçu ces blessures quand j'étais enfant, dans mon passé d'esclave. Mais elles n'avaient aucune importance, à mes yeux. Mon passé n'était que mon passé, il n'avait aucune importance. Seul l'avenir comptait... Mais pour cela, il fallait agir sur le présent. Bref, sur ce combat. L'étrange pouvoir auquel elle avait recours la rendait plus redoutable que jamais; mais j'avais aussi un atout... Si le lieu m'était désavantageux, je n'avais qu'à l'adapter. Mieux: son propre pouvoir allait me servir. Je plongeai ma main gauche dans une bourse -mieux valait ménager mon bras droit-, et en sortis des sphères noires, dotées d'une mèche. Le plus dur, c'était toujours de les allumer... Elle allait s'en occuper pour moi. Je lui lançai une poignée d'explosifs, dont un fumigène. Ils s'embrasèrent en un instant, et explosèrent; j'en profitai pour me planquer plus loin dans le couloir, derrière le mur du coin. Je préparai mon arc aussi vite que possible, sortis de ma cachette, et arrosai le couloir de flèches. Je ne voyais rien, avec la fumée qui avait envahi l'ensemble des lieux, mais le couloir était étroit: même en visant au hasard, j'avais de larges chances de la toucher, d'autant plus qu'elle-même ne les verrait pas venir. J'étais séparé d'environ une dizaine de mètre d'elle, si elle n'avait pas bougé. Dès que je verrai sa silhouette à travers la fumée, je me réfugierai derrière le mur du croisement, pour jeter mon arc et reprendre mes dagues: un arc n'était qu'un encombrement, au corps à corps.
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Et voilà... Elle réagissait au quart de tour. Je lâchai un soupir, entre consternation et lassitude. Suivre son cœur plutôt que sa cervelle n'était pas forcément une mauvaise chose, mais chez elle, c'était extrême... Même en plein territoire hostile, au cœur d'un repère d'hommes faits pour se battre, elle était incapable de se maîtriser. Pire: elle n'essayait pas. - Je pourrais dire pareil… Pourquoi es-tu là ?! Traître ! Quand avais-je trahi qui que ce soit? Nous n'étions lié par aucun serment. Non seulement l'amitié n'en était pas un, mais en plus, c'était elle qui était incapable de supporter que je puisse penser autrement. Bien sûr, si elle ne changeait pas d'avis, cela ferait de nous des ennemis... Mais nombreux furent, et étaient, les adversaires qui se respectaient. Il n'en serait pas ainsi pour nous... Enfin... Inutile de me tourmenter encore. J'avais déjà essayé de sauver ce qui pouvait l'être dans notre relation, et ce fut un échec total. Il serait stupide de m'échiner en vain: notre amitié appartenait au passé, point. - Tu n’as même plus la décence suffisante pour me répondre ? En plus d’être un traître tu es un lâche, tu me déçois énormément ! J'aurais volontiers continué à l'ignorer: même ses insultes n'avaient aucun sens, elle semblait juste vouloir déverser toue sa rage. Tel était le lot des clairvoyants: se faire insulter par la masse aveugle, incapable de comprendre ou même d'essayer de comprendre, et qui tente de se sentir plus intelligente en rabaissant les génies. Mais voilà: je n'eus pas vraiment le choix. Elle me rattrapa, et me gratifia d'un solide coup de lame. Bien sûr, je n'avais pas baissé ma garde: je l'avais entendu s'approcher, j'avais vu le coup venir, et j'avais fait en sorte qu'il soit le moins douloureux possible, en me déplaçant de sorte à ce qu'il touche l'endroit le moins sensible... Mais j'avais sous-estimé sa force. Elle s'était améliorée, et sa rage la rendait plus brutale encore. Je chutai malgré moi, et me retrouvai avec sa lame sous la gorge. - Tu ne changeras donc jamais ?! Ces êtres perfides t’ont-ils donc tellement endoctrinés, avec leurs idées ignobles ?! Je jetai une dague vers elle pour faire diversion, et roulai en arrière, avant de me remettre sur pied en un saut. La souffrance se fit perçante, à l'endroit du choc, et m'arracha une grimace douloureuse. Par Niue... Je commençais à en avoir soupé, de cette gamine impulsive, et de ses petites idées toutes faites. Il était temps de mettre un terme à cette mascarade. D'une voix glaciale, je prononçai - Tu attaques par derrière, et je suis un lâche? Je fis un pas vers elle, la fixant d'un regard dur, où naissait une colère aussi froide que profonde. Je serrais dents et poings, essayant de me contenir. - Tu n'en as pas marre d'être inconséquente? De prêcher pour un dieu, puis de cracher dessus selon ton humeur? J'empoignai le manche de ma dague, et la dégainai lentement. Cette femme n'était qu'un poids, un boulet que je traînais depuis trop longtemps. J'allais en couper la chaîne, définitivement. - Moi, oui. J'en ai assez, de tes actes irréfléchis, de tes réactions excessives, de tes coups de tête. Assez, de ton entêtement abruti, de tes contradictions, de ton intolérance butée. Assez, de tes hurlements de sauvage, de tes insultes stupides, de ton agressivité furieuse. Tu n'es qu'une petite gamine gâtée, Mystica. Tu écoutes sagement ce que les adultes te disent, et bois leurs mots sans rien remettre en doute, privée de sens critique. Tu babilles les belles paroles qu'on t'a fait apprendre par cœur, sans même en comprendre le sens, pour être bien vue par les autres. Tu t'émerveilles devant les belles vitrines des magasins, pour ne plus avoir à supporter le regard des miséreux autour de toi. "Que le monde est gai, qu'il est chatoyant!", te répètes-tu sans cesse, essayant d'oublier le malheur autour, songeant que tu as bien de la chance de ne pas être une de ces loques affamées. Ho, bien sûr, tu donnes un biscuit de temps en temps ou un petit coup de main, espérant qu'un adulte te tapote gentiment la tête et te félicite pour ton brave cœur; mais hors de question de perdre tes jouets et ton petit bonheur pour des inconnus! Mais c'est fini. Je me fiche de ta puérilité et de ton égoïsme, à présent: je n'aurai pas à le supporter plus longtemps... Tu ne peux t'exprimer que par la violence? Soit. Réglons cela par le fer, et dans le sang. Je pointai ma dague vers elle, le visage imperturbable, le regard dur comme le roc. Ma rage avait été étouffée avant de s'enflammer: une froide détermination l'avait remplacée. Il n'y avait eu qu'une issue possible, depuis le début. J'avais cédé à ma faiblesse, en essayant de me convaincre que non... Mais j'allais réparer cette erreur. - En garde, élémentaire. Que le sang du plus faible tâche à jamais le sol, preuve éternelle de la vanité du dialogue et de la suprématie de la force; de l'incapacité des humains à vivre en paix sans puissance plus grande encore pour les guider... Plus de retour en arrière possible, à présent. Je ne devais plus penser qu'au combat, et à rien d'autre. J'allais devoir lutter et, sans doute, mourir... J'avais peu de chance de l'emporter. J'étais coincé dans ce couloir, incapable de profiter de ma mobilité, de me cacher pour tirer à l'arc, de grimper me mettre à l'abri. Ma seule chance, c'était qu'elle s'emporte, et perde en précision. Je pourrai alors tenter de la déborder par la vitesse et l'agilité, esquivant ses coups et la tranchant encore et encore à la dague... Mais un pas de travers, un seul, et on la surnommait régicide. Alors, pour l'exciter encore, et la pousser à la faute, je crachai au sol, vers elle, d'un air empli de mépris -je n'eus presque pas à me forcer. - Adieu, esclave d'Ignis.
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La caserne de Melrath Zorac, et ses prisons -ou plutôt, ses oubliettes... Un endroit crasseux et usé, remplis d'êtres puants, sans morale, prêt à égorger un gosse pour quelques piécettes, tout juste bon à manger la nourriture infâme qu'on leur servait, incapable d'être utiles... Et je ne parlais pas que des prisonniers. De nombreux scandales avaient entachés la réputation des gardes, ou plutôt, ce qu'il en restait; et s'il y avait réellement eu de braves âmes dans leurs rangs, elles les avaient sûrement désertés depuis belle lurette, dégoûtés, morts, ou corrompus par cette mentalité misérable. Et dire que c'était ça qui était chargé de maintenir la paix dans ma ville, déjà pourrie jusqu'à la moelle! Et bien, si les gardes étaient incapables de tenir leur charge, ce seraient d'autres "sentinelles" qui s'en occuperaient... Par le fer et le sang, s'il le fallait. C'était d'ailleurs pour ces dernières que je devais affronter l'atmosphère moite et nauséabonde de ce refuge à poivrots. Un de nos "partisans", un assassin important, s'était fait prendre par la garde. Pour une fois que ces boîtes de conserves arrêtaient un criminel, il fallu que c'en soit un nécessaire... Ma mission, donc, était donc de le retrouver, et de le sortir de là. Pourquoi moi? Simple: d'abord, j'étais régent. En tant que tel, je pouvais facilement justifier ma présence ici, si j'étais vu: une inspection surprise, ou un autre mensonge de ce goût ferait l'affaire. S'ils étaient aussi futés qu'ils en avaient l'air, ce sera un jeu d'enfant... Mais, surtout, si je ne valais pas grand chose sur un champ de bataille, j'étais discret, rusé, et je maniais les mots comme mon arc. Bref, l'idéal pour ce genre de mission. Je le pouvais; le voulais-je? Je connaissais la réputation de ce type. Ce n'était pas une sentinelle, juste une crapule prête à tuer contre quelques pièces... Et qui avaient des dizaines de cas d'infanticides sur le dos. Mais il nous avait servi quelques fois, par le passé, et avec efficacité. Un tordu, donc, mais un tordu utile... J'étais entré par le toit. Il y avait une fenêtre surmontée d'un drapeau, sur le mur extérieur; en quelques sauts et un peu d'escalade, j'avais atteint le sommet de la structure. Une entreprise risquée, mais nécessaire: l'entrée menait à une salle extrêmement large, sans cachette et bourrée de gardes. Mais, d'en haut, je pouvais passer par une pièce bien plus petite, dans laquelle il était aisé de se dissimuler, et qui menait au couloir vers les oubliettes. Je réussis à atteindre ce dernier sans encombres. Parfait. A partir d'ici, plus de soldats à craindre: ils jouaient tous aux dés dans les salles communes, aucun n'aurait l'idée de faire une patrouille ici. Dire qu'il était si facile d'atteindre les pires criminels de la région... Encore quelques croisements, et j'arrivais aux escaliers menant aux oubliettes. Soudain, je m'immobilisai. Je venais d'entendre, un peu plus loin, des bruits de pas. Quelqu'un se dirigeait vers moi... Je dégainai ma dague, sans un bruit. Tant pis pour lui: si je me contentais de l'assommer, il pourrait revenir à lui, et me surprendre en train de libérer le criminel. Dans ce cas, c'en serait fait de ma réputation, déjà si ténue... J'attendais dans un coin, silencieusement, qu'il arrive à ma portée. Et, quand ce fut fait... Je sortis brusquement de ma cachette, et mon arme fila vers la gorge de l'homme. L'homme? Justement, non. C'était une femme... Mais pas n'importe laquelle. Mystica. J'étais, malgré tout mon pragmatisme, un humain: j'eus un moment d'hésitation. Une fraction de seconde plus tard, je décidai qu'il fallait mieux continuer mon geste, et ce qu'il impliquait; mais c'était déjà trop long, et je perdis l'effet de surprise. Elle évita mon attaque, par réflexe; et je n'eus plus qu'à reculer prestement, m'éloignant d'une possible contre-attaque. Autant sauver mon bénéfice du doute: je pris un air légèrement surpris en la regardant, et soupirai. - Encore toi... Comment faisait-elle pour être à ce point un gêne? Depuis l'épisode du festival, nous ne nous étions plus vus; et je ne m'en étais pas plus mal porté. Mais les meilleures choses ont une fin, et à présent, j'avais à nouveau le déplaisir de la voir et, de surcroît, dans la pire des situations possibles... Non pas que je la détestais! Au contraire: c'était cette affection que j'avais pour elle, qui rendait sa présence insupportable. J'étais un être humain normal, qui ne pouvait s'empêcher d'aimer, et de faire de cette affection, une chaîne: je n'avais aucune envie de la tuer. Et puis, elle n'était pas ce que nous cherchions à détruire. Elle était aveugle, voir idiote... Mais pas mauvaise. Je ne doutais pas d'arriver à la tuer, mais je savais que j'en serai mal pendant des semaines, et l'idée ne pouvait me plaire... Mais, avais-je une autre solution? Elle était une ennemie, et une des plus farouches. J'avais déjà essayé de lui ouvrir les yeux, en vain. Elle était un obstacle... Et tous les obstacles devaient être détruits. Mais pas ici, pas maintenant; j'avais bien plus important à faire que me battre en territoire dangereux. Je pourrais tenter de m'en débarrasser par les mots, mais je la connaissais: ce serait chose difficile, voir impossible. C'était comme vouloir diriger un brasier avec les mains: non seulement c'était inefficace, mais en plus, on se brûlait. En conséquence, jugeant que parler mènerait forcément à un mauvais dénouement, je me contentai de ranger ma dague, et passer à côté d'elle sans lui adresser un mot. J'allais emprunter une porte un plus loin, me dissimuler à un endroit, et attendre une heure, afin d'être sûr qu'elle soit partie. Je me moquais de savoir ce qu'elle venait faire ici; espérons que ce soit réciproque. Si elle avait un peu de jugeote, elle accepterait cet accord tacite de ne pas se battre, et me laisserait tranquille. Un peu de jugeote... En d'autres mots, c'était voué à l'échec.
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Je commençais à avoir l'impression que nous tournions en rond. Elle ne comprenait pas ce que je disais, ou l'inverse. Dans les deux cas, nous perdions notre temps. - Je n'ai jamais dit que les limitations étaient mauvaises, justement. Après tout, un jeu n'est gérable et agréable qu'avec de bonnes règles. Il en va de même pour la vie. Je soupirai. Qu'espérait-elle? Une théorie, par définition, pouvait se révéler fausse. Mais si personne ne se décidait à prendre de risques, à faire des essais, jamais l'humanité n'avancerait. - Oui, le résultat pourrait être désastreux. Oui, peut-être guiderons-nous l'humanité vers sa perte. Mais si l'on ne la guide pas, elle y plongera d'elle-même. Et cette théorie surpasse toutes les autres en probabilité. Les Quatre n'arrêterons de se déchirer que quand trois d'entre eux seront vaincus. Et le dernier, ayant ainsi perdu toute raison d'être, emportera les humains dans sa disparition. Si ses craintes sur les véritables conséquences de mes actes m'avaient agacés, ses propos suivant me mirent presque en colère -ce qui, chez moi, se traduisait par un froncement de sourcils et une voix plus grave. Je détestais le fatalisme, et j'étais fort déçu qu'elle y soit sujette. Je pensais qu'elle était de ceux qui se battaient jusqu'au bout, quel que soit l'ennemi, quelle que soit l'ampleur de la tâche. - Une équivalence de bonheur et de malheur? Quelle théorie stupide. Non pas parce qu'elle est forcément fausse, mais parce qu'elle ne mène à rien. Que devrions-nous faire, alors? Tout laisser tomber? Se battre pour avoir le plaisir, ou se forcer à être malheureux pour qu'un autre l'aie? Et, au final, être convaincu que rien ne changera, que tous les efforts du monde ne pourront apporter ne fut-ce qu'un peu de bonheur en plus? Je fis un mouvement de main, comme pour balayer cette idée - Bien sûr, il y aura toujours des malheureux. Si la diversité des êtres humains est le piment de ce monde, il est aussi l'obstacle au bonheur universel. Mais ce n'est pas une raison pour tout laisser tomber. Un voyage vers un lieu impossible à atteindre put sembler absurde, mais c'est toujours mieux que pas de voyage du tout... Mais, alors que je pensais que le débat était voué à l'impasse, l'espoir d'enfin la convaincre ressurgit. Elle avouait sa faiblesse. Son impuissance. Et, surtout... Ses doutes. - La loi doit être la même pour tous, sous peine de n'être qu'un chaos déguisé, et une série d'injustices. Cela fait des siècles que des hommes haranguent les peuples à suivre le droit chemin, sans résultat. Car sans la base solide de la loi, et le ciment de l'autorité, jamais l'humanité ne peut être bâtisse unie. Il y aura toujours des êtres qui suivront leur égoïsme, et feront s'écrouler ce qui fut si difficile à construire en refusant de n'être qu'une brique, ou de rester là où est leur place. Pousser les gens ne suffit pas. Il faut délimiter la route, et les empêcher d'aller autre part. Pour leur bien. Pour le bien commun. J'avais la gorge sèche, à force de parler. J'avais bien choisi mon élément, au final... Ma principale arme était le son, si souvent associé à l'air. Pourtant... Quand je l'avais choisi, c'était parce que l'élément m'évoquait la liberté, que j'avais enfin reçue. J'ignorais alors que le vent n'était libre de rien. Qu'il ne faisait qu'aller d'un point de haute pression, à un de faible pression. Qu'il ne faisait qu'obéir aux règles établies par les puissances supérieures... - Niue peut te donner un objectif. Une méthode concrète, pour des résultats concrets. Ainsi, la foi balayera les incertitudes. Mais la lassitude, c'est à toi de la combattre. Oui, il est lassant de se battre, encore et encore, pour un monde qui nous rejette. Et chaque Sentinelle passe par des moments de découragement, ou tout semble vain, ou l'envie de baisser les bras est plus grande que jamais. Mais, quand même nous rappeler la beauté de notre objectif ne suffit plus à nous relever, nos compagnons sont là pour nous soutenir. Je plongeai mon regard dans le sien. Devais-je foncer maintenant, ou la laisser réfléchir? Quand il était question d'éliminer un virus -ici, sa foi corrompue-, il ne fallait pas stopper un traitement en cours. Le virus n'en ressortait que plus fort... Mais Anauelle était intelligente. Mieux valait la laisser méditer sur cela. Après tout, je ne pensais pas que la faire nous rejoindre sous la pression soit une bonne chose pour la suite. Mieux valait qu'elle soit entièrement, profondément, convaincue que notre cause était juste. Alors, j'attendis ses réponses.
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J'aimais débattre avec Anauelle. Elle semblait révoltée par ce que je disais, mais cela ne l'empêchait pas de me laisser parler sans m'interrompre. Ho, je pouvais comprendre ce dégoût. A vrai dire, quand j'avais épousé la cause de Niue, je ne croyais encore en rien. J'était à peine sorti de mon esclavagisme, et venais de devenir réellement un humain -et surtout, réellement moi-même. En d'autres mots, j'étais en terrain vague prêt à accueillir les valeurs qui seraient miennes. Anauelle, par contre... Elle avait déjà d'immenses structures, dures comme le fer. Il ne serait pas aisé de les détruire, pour bâtir un édifice à Niue... Un peu comme ce monde, d'ailleurs. Détruire le faux, bâtir le vrai. Et puis... Je devais avouer que mon seul objectif n'était plus de la convaincre de nous rejoindre. Je prenais, tout simplement, plaisir à parler avec elle. Apparemment, elle m'avait mal compris sur certains points. Je la corrigeai: - Je ne parler pas d'asservir et de faire travailler de force. Je parle de poser un cadre strict, un pouvoir fort qui évitera les débordements. Qui veillera à faire comprendre que "la liberté s'arrête là où commence celle des autres". Maigre prix que la liberté pour la sécurité et la justice. Et est-ce vraiment un prix? Nous avons déjà tant de chaînes. Nous devons respirer, nous nourrir, boire, nous reproduire... Nous ne pouvons pas voler, courir aussi vite que l'on veut, ne pas vieillir... Nos instincts et notre faiblesse nous entravent aussi sûrement que n'importe quelle tyrannie. J'haussai les épaules, et ajoutai - Mon passé n'est qu'une expérience, un exemple parmi des milliards d'autres. Et puis, au contraire, si nous atteignons notre objectif, ce genre d'esclavage n'aura plus lieu. La suite de ses paroles me fit réfléchir. "Lavage de cerveau"... Je connaissais nombre de partisans des Quatre, pour qui j'avais beaucoup de respect. Je ne doutais pas qu'ils fussent aveugler par leur croyance, et que leur cerveau soit "lavé": ils disaient se battre au nom de leur dieu, et donc du bien. Or, c'était deux choses totalement opposées... Les Quatre étaient sources de conflits, de crimes odieux, et surtout de la guerre qui déchirait ces terres. Et, contrairement à Niue et à son idéal, ils n'avaient aucune vraie justification. Juste l'orgueil et la soif de pouvoir. S'ils voulaient aussi créer un Eden, cela revenait à dire que ce monde était corrompu. Or, ils affirmaient le contraire. Donc, ce n'était pas pour cela. Mais, si ces êtres si sages, si intelligents, si respectueux n'avaient, malgré tout, pas su résister à un lavage de cerveau... Il pourrait en être de même pour moi. Je ne considérais pas que douter de quelqu'un était une trahison. Au contraire, refuser d'essayer de tirer les choses au clair revenait à dire qu'il se pourrait qu'il soit coupable, et que l'on ne voulait pas le découvrir. C'est pourquoi je n'avais aucune honte à me poser ces questions, à douter de Niue. Je n'avais aucune gêne à me sonder, à remettre en question les motivations des Sentinelles, encore et encore, pour être certain à tout moment qu'elles sont bonnes. Mais, en général, je n'avais que mon point de vue. La plupart de ceux qui ne le partageaient pas, au lieu de m'expliquer pourquoi ils n'étaient pas d'accord, me traitaient de monstres sans âme, et essayaient de m'occire... Cette discussion était une bonne opportunité d'avoir une opinion extérieure, et je comptais la saisir. - Le bon est ce qui apporte le bonheur. Le mauvais est l'absence de bon. Comme le bonheur n'est jamais complet, il y aura toujours du mauvais... Nous ne pouvons que le limiter. Je lui souris - Tu apportes bien plus de bonheur que de malheur. Tu es loin d'être mauvaise. Même si, à long terme, tu deviendrais sans doute un obstacle, songeais-je - Et nous n'agissons pas au plus simple, mais au plus efficace. Il ne peut y avoir de demi-mesures: le monde est déjà au bord du gouffre. Quand un homme est gangrené, on l'ampute, point. J'avais assez parlé. A son tour de s'exprimer... - Et toi? Que proposes-tu, alors? Es-tu d'accord sur le fait que ce monde est cruel, injuste, et que les Quatre ne font rien pour l'améliorer, au contraire? Ou penses-tu qu'ils se battent réellement pour le bien de l'humanité?
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La pitié que je lisais dans son regard, après le récit de mon passé, me laissa indifférent. Après tout, c'était mon passé: juste une base pour avancer vers l'avenir. Le narrer ne me touchait pas plus que de conter n'importe quelle histoire. Si j'avais fait cela, c'était surtout pour la pousser à, elle, raconter son vécu. Tout ce qui pourrait me servir à la convaincre était bienvenue... Ma tentative fut couronnée de succès: elle dévoila sa supposée origine. Ainsi, elle aurait été crée de toutes pièces par Firmine... J'étais sceptique. Elle ne me semblait pas être le plus farouche serviteur de la Déesse, ni sa réincarnation; leur caractère différait trop. Alors pourquoi aurait-Elle fait cela? Enfin... Chercher les motivations d'une des Quatre était sans doute vain. Un caprice, sans doute. Je doutais qu'ils aient scrupules à jouer avec l'esprit des gens... Quoi qu'il en fut, je me demandai s'il n'était pas, alors, dangereux de l'intégrer aux Sentinelles. Un cheval de Troie était bien la dernière chose dont nous avions besoin... Puis je songeai à l'opposé: elle pourrait faire une arme incroyable, si elle se retournait contre sa créatrice. Son étrange lien avec l'un de nos ennemis pourrait être intéressant... J'eus soudain envie d'oublier à l'instant cette idée. Je m'en étonnai: depuis quand avais-je scrupules à utiliser même mes amis? Il ne fallait pas que j'oublie la raison de ma lutte... La fin justifie les moyens, après tout. Mais il était prématuré de penser à cela. Elle ne semblait pas convaincue par mon discours... Comment lui en vouloir? On ne changeait pas de voie aussi soudainement. Je saurai la pousser, lentement, mais sûrement, sur Notre route... - Considères-tu donc que la guerre fait parti de l'humain? Qu'il ne saurait vivre sans tuer les siens? De plus... Le meurtre ne serait plus un mal? Chacun est destiné à mourir: ôter la vie serait forcément acceptable, alors? Non. Les Quatre sont aussi coupables des morts de cette guerre que s'ils avaient fait combattre les plus pacifiques des êtres. Ho, certes, l'humain a facilement recours à la guerre. L'humain moyen est stupide, incapable de comprendre ce qui est bon pour lui, courant sans cesse vers sa perte, et la perte des siens. Il lui faut un guide! Un être pour veiller sur lui, et l'empêcher de faire ce qui est mauvais. Oui, je parle de dictature. La dictature de Niue, qui connait mieux l'humanité que n'importe quel humain, qui saura prendre soin d'eux, et qui, tel un maître bienveillant, les empêchera de se faire du mal... Préfère-tu cette dictature bienveillante, ou celle des Quatre, qui se servent de leurs "sujets" comme d'outils à leurs caprices? Tant qu'il y aura des dieux, il y aura une dictature, Anauelle. Et tant qu'il y aura des humains, il y aura des dieux... Car ils en ont besoin. La liberté... Pourquoi accorder tant de valeur à ce concept? Mieux valait une prison luxueuse et où chacun est heureux qu'une liberté où tous mourraient de faim et de tristesse... - Quant à la "purge"... Ce qui est mauvais doit être détruit. Il en a toujours été ainsi, non? Même nos ennemis pensent la même chose: il suffit de voir le zèle avec lequel ils nous combattent... Il fait faire un choix, Anauelle. Aime-tu suffisamment l'humanité que pour te battre pour un avenir meilleur? Ou as-tu trop peur de te salir les mains, et de t'attirer sa haine? L'aime-tu pour elle, ou pour toi? On ne fait pas d'omelettes sans casser d'œufs... Qu'est-ce qu'est une génération partie plus tôt, si elle peut assurer le bonheur de centaines, de milliers de générations futures?
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Manifestement, elle avait décidé que je serais le seul à me dévoiler. J'avais deviné depuis longtemps que ce qu'elle avait vu avait rapport à cette amnésie, et qu'elle avait du combattre... Je n'avais pas le monopole des généralités inutiles. - Et ta question à toi, n'est-elle pas personnelle? Pour recevoir, il faut donner... Mais je ne comptais pas perdre mon temps à jouer à qui parleras en premier. Mettant mon propre conseil en pratique, j'expliquai: - Pour ma part, je me suis débarrassé d'un parasite... Je lui expliquai le "songe", mais restai vague sur mon passé: je dis juste que j'avais été esclave un temps dans une carrière, point. Je ne tenais pas forcément à tenir ce passé caché, mais je ne voyais pas d'intérêt à le narrer. - Quant aux facettes sombres, encore faudrait-il être d'accord sur la signification de "sombre"... Une facette qui nous dégoûte nous-mêmes, ou qui ne correspond pas aux valeurs reconnues par la majorité? Dans les deux cas, nul ne doit jamais avoir honte de ces facettes: seulement de ce qu'on en fait. De nos actes, en d'autres mots. Je parlais rarement sans but. J'enchaînai: - Et j'aurais honte de ne pas faire ce que je fais, de laisser le monde courir à sa perte sans agir. Peu importe ce qu'en pense autrui, ce qu'en pensent ceux que j'aime: je sais que ce que je fais est bon. S'ils ne sont pas d'accord... Alors, je respecterai leur volonté, leur détermination à faire ce qu'ils pensent juste. Je ne leur en voudrai pas d'essayer de me stopper: qu'ils ne m'en veuillent pas de les ôter de ma route. Je soupirai, et, prenant un air moins dur, j'ajoutai: - Mais je préfère essayer de les faire marcher avec moi sur cette route. Nous traverserons plus facilement les obstacles, à plusieurs... Et arriverons, tôt ou tard, à l'Eden que nous cherchons. Les mots, parfois, ne suffisaient pas. Elle venait de me donner le moyen de lui prouver que je n'étais pas ou un machiavélique froid, ou un philanthrope luron, mais bien la fusion des deux... Je me levai, et m'approchai d'elle. Puis je la pris doucement dans mes bras, et chuchotai à son oreille - M'aideras-tu à arpenter ce chemin? Marcheras-tu avec nous vers un monde idéal? Combattras-tu le mal pour permettre à d'autres de partager de pareilles étreintes? Lutteras-tu à nos côtés contre la corruption qui a envahi ce monde, avant que tous ne perdent la chaleur que nous partageons? Je la relâchai, et reculai: - Ou laisseras-tu les Quatre imposer leurs volontés, et pousser les humains à s'entre-tuer pour régler leurs stériles querelles? Laisseras-tu le chaos répandre la mort et la douleur? Laisseras-tu tragédies et massacres se perpétrer au nom d'illusoires valeurs, destinées à justifier l'injustifiable?
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Deux jours plus tard, Anauelle me recontactait, pour proposer d'aller boire quelque chose. J'avais franchement hésité à refuser, devinant la raison de cette invitation, et me doutant que la discussion serait peu agréable, mais... Ce serait une occasion idéale de lui ouvrir les yeux sur Celui qu'il fallait suivre, la détourner de Quen. Alors, je répondis favorablement. Dans la taverne, je la laissai commencer. Autant la laisser elle-même exposer sa gêne, pour être sûr de savoir exactement ce qui provoquait son malaise... Je la laissai parler sans l'interrompre, finissant calmement ma boisson. "Qui étais-je"? Excellente question. Y avais-je la réponse? Celui qu'elle avait vu, ce jour là, était le bouffon que j'avais été forcé de devenir. Si ce tyran avait compris que je n'étais pas simple d'esprit, j'aurais perdu ma tête... Alors, j'avais créé ce masque. Mais, à bien y réfléchir... La difficulté de la vie d'esclave ne m'avait-elle pas, elle aussi, forgé l'esprit à coups de lourd marteau? Je m'étais renfermé sur moi-même, avait été forcé à ne jamais montrer de sentiments excessifs sous peine d'être calmé au fouet, n'avait survécu qu'en devenant calculateur et réfléchis. Alors, n'était-ce pas qu'un masque aussi? Et puis... C'était idiot, mais j'avais un pincement au cœur à l'idée d'affirmer que celui qui avait été membre de Thuatha Dé Chilandari n'était qu'une façade. A leur manière, ils essayaient aussi de rendre le monde meilleur... Même si c'était un apport éphémère, qui n'aurait jamais d'impact à long terme. Mais Anauelle attendait une réponse, je n'avais pas le temps de réfléchir plus longtemps. - "M'as tu jamais vraiment connu? On ne voit jamais au mieux qu'une facette d'autrui...", avais-je dit, il y a deux jours. Y as tu réfléchis? Je suis, quelque part, le joyeux luron que tu décris. Parce que les événements m'ont modelé ainsi. Mais, cela ne fait aucun doute, je suis aussi -et surtout- celui que tu as vu dans la grotte. Je ne nierai pas, car je n'en ai pas honte. Lui sortir l'habituel discours des Sentinelles n'aurait pas grand effet, je le parierais. Il me fallait un nouvel outil pour la convaincre... - Mais toi... Ne caches-tu pas des facettes de toi dont tu as honte? Dis-moi... Qu'as-tu vécu, dans cet endroit maudit? J'ai vu des coups d'épées sur l'homme... Tu as du combattre quelque chose. Je me trompe?