yaninho Posté(e) 8 juillet 2021 Signaler Share Posté(e) 8 juillet 2021 Cela faisait maintenant de nombreuses saisons que j'errai sans le moindre signe d'un espoir, sans nul doute perdu dans l'infime conviction qui berçait jusqu'à présent mes nuits. Rebom n'est plus, et peut-être définitivement. Comment imaginer l'inverse ? Lui que j'observais, voire traquais à maintes et maintes reprises, de par des séquences volées ou des rêves partagés qui, attachés un à un, m'ont permis de confectionner le scénario de sa propre destinée, tel un puzzle que l'on assemble pièce par pièce. Encore faut-il disposer de toutes les fragments nécessaires à sa compréhension. Car oui, encore aujourd'hui, certaines brides me manquent pour constituer l'Histoire dans sa globalité. Et je suis là, seul, à chercher tout indice dans mes souvenirs, à décortiquer chaque mot des livres narrant ses tragiques mais fascinants exploits et, je dois l'avouer, à attendre éperdument un appel de sa part. Mais rien. Aucun geste, aucune parole, que de la souffrance et de la désillusion, d'un rituel dorénavant quotidien. Il faut dire qu'encore aujourd'hui, je n'ai que peu de distractions pour soulager cette terrible déchirure, à tel point que cet échec hante le moindre de mes pas. Et cet aveu, aussi poignant que sincère, consume peu à peu mon enveloppe charnelle. Cette fougue, qui faisait autrefois ma renommée, laisse maintenant place au doute, bien plus imposant, et surtout bien plus déstabilisant. Etais-je réellement l'Elu comme je l'aimais à le croire ? Ou était-ce encore une ambition infondée, ne reposant que sur le socle fragile de mon arrogance et de ma vanité ? Je ne sais pas. Même, je ne sais plus. Preuve en est de ma défaillance en ma propre foi. Il est vrai aussi que le plaisir de tuer m'a souvent tenu en haleine, que le goût et l'odeur du sang, de son rouge si caractéristique et tenace, ont aiguisé mon appétit. Ils sont nombreux à avoir connu la joie d'agoniser de mes mains. Et c'est ce que j'aime me dire. Mais je doute que mes victimes pensent de même. Ah, satané doute ... Et comme toujours, à ce moment très précis, une seule solution s'offre à moi. « Nous y voilà. » *** La taverne était affreusement silencieuse. Il était tard, je le conçois. Mais j'espérais naïvement un semblant d'ambiance, un simagrée de folie dans une nuit emplie d'amertume. La vie semblait si morte que même la mort semblait plus vivante que la vie. Après tout, n'avais-je pas besoin de ce calme pour parfaire ma solitude ? Comme dit l'adage, on n'est jamais mieux servi que par soi-même ... : « Qu'est ce que je te sers l'ami ? » ... Ou par un tavernier. : « A cette heure-ci, peu importe. » : « J'ai de l'hydromel, de l'hypocras, du cognac, de ... » : « Ce que tu as de plus fort. » : « Hmpf, c'est à dire que ... » : « Sept verres alors. » J'y allais peut-être un peu fort. Alors qu'un être humain lambda doit se substanter à intervalles réguliers, alternant repas copieux et breuvages parfois fort suspects, mon régime alimentaire, s'il peut encore s'appeler ainsi, quant à lui ne se résumait qu'à l'absorption de n'importe quel type de liqueur enivrante, à tel point qu'il était tout à fait louable de se demander si mon propre sang n'avait pas lui-même le goût de l'alcool. Mais que voulez-vous, c'était la vie que j'avais décidé de mener. Pas vraiment par choix, plutôt par dépit. Ce vieil ami m'a toujours accompagné, dans mes joies comme, et surtout en ce moment, dans mes peines. Actuellement, que puis-je réellement fêter ? Lever son verre pour quelle occasion, pour quel honneur ? Et surtout, avec qui ? : « Tiens, voilà tes sept verres. » Posé à cette table, bien trop grande pour un seul homme, je réfléchissais de nouveau au sens de la vie, voire à hypothéquer une mort qui soulagerait bien mes sombres desseins. Il est vrai que l'alcool et la solitude ne font jamais bon ménage dans cette situation. Mais pour être tout à fait franc, la taverne était tellement immensément vide, autant que peut l'être ma peine, que je n'avais rien à craindre d'un quelconque jugement. Puis, tout d'un coup, au détour d'une pensée sûrement trop obscure, une jeune demoiselle rentre dans la bâtisse, et se permet l'impensable : elle ose s'asseoir à ma table. Je ne savais guère comment réagir devant tant d'audace. Que j'aime les femmes imprévisibles. Comment pourrais-je me permettre de lui refuser une place que personne ne voudrait ? : « Bonsoir, sorcier. » : « Bonsoir jeune archère d'Ignis. » Car oui, petite précision importante ici, j'ai remarqué qu'elle se baladait avec un carquois et une tunique aux couleurs de Vulfume. Le rapprochement est donc très simple. : « Pardonnez mon impolitesse, mais que fait un magicien de votre renom dans une taverne aussi délabrée à une heure si tardive ? » : « Voyez-vous ma chère, je vis. Ou tout du moins, j'essaye. » : « Pour un type qui tient tant à sa vie, vous avez l'air de bien l'aimer lorsque je vois le nombre de verres vides autour de vous. » : « Que voulez-vous. A chaque verre que j'empoigne et que je savoure, j'en profite pour réorchestrer ma vie. Dans mon coin, sagement. » : « Même si cela peut paraitre indiscret, sachez que cela m'intéresse, sincèrement. Et à quoi bon pouvez-vous bien penser seul ? » Ce n'est pas dans mon genre de répondre à ce genre d'interrogations, d'autant plus venant d'une illustre inconnue. Mais il faut croire que l'enchainement de verres, la fatigue accumulée et mon irrépressible envie de parler ont eu raison de mes anciennes habitudes. : « Vous savez, gente demoiselle, j'ai connu bien nombre d'aventures dans ma chétive existence. J'ai côtoyé moults compagnons, aussi bien dans mon clan que dans les rangs ennemis. Beaucoup d'entre eux ont disparu également. Mais ce vide a bien souvent été comblé par l'arrivée de nouvelles têtes. Un éternel recommencement, un cycle de vie classique en soi. » : « Et j'imagine que le départ de certains d'entre eux comme vous dites ont laissé des traces indélébiles dans votre vie ? » : « Vous vous imaginez bien. Malgré nos différends, nous nous aimions à nous connaitre. Je pourrais vous citer des noms dont vous ne pourriez même pas vous douter de leur existence et qui pourtant auront marquer aussi bien ma vie que nos terres par le passé. » : « Et si vous deviez en garder qu'un seul ? » Amusante, elle me donnait l'impression de vouloir me manipuler, de savoir ce qui se cachait derrière la terrible bête sanguinaire et avide d'émotions que je suis en apparence. : « Elle. » A son évocation, et d'un naturel sans précédent, je me replongeais dans une époque si savoureuse que même les neiges les plus intenses dégageaient plus de chaleur en sa présence que le soleil brûlant qui sévit aujourd'hui en son absence. : « Ara. Qu'importe le Dieu que vous implorez, croyez-moi, cette femme avait ce petit quelque chose en plus qui faisait d'elle une véritable légende. Je me souviens encore de mes premiers pas sur Melrath Zorac : des guerres journalières qui, soyons sincères, faisaient davantage penser à de vulgaires bagarres de rue qu'à de vraies batailles. Mais à cette époque, nous aimions ça, nous aimions nous battre. Ara et moi étions ennemis. Il faut croire qu'elle devait déjà m'apprécier à ce moment-là, vu le nombre incessant de flèches que j'ai pu recevoir de sa part. Me visait-elle réellement pour me blesser, ou souhaitait-elle juste atteindre mon cœur ? » : « ... Le pensez-vous vraiment ? » Douce retour à la réalité. : « ... Je m'égare. Bien évidemment, je ne me laissais pas faire non plus, cependant, la toucher revenait de l'exploit. De par, bien évidemment, son agilité et sa dextérité à éviter tout type d'assaut, mais aussi et surtout de par son extrême beauté. Qui, aussi fou et barbare soit-il, pourrait en vouloir à cette superbe créature ? Qui oserait ne serait-ce que brûler une infime partie de sa chevelure ou à lancer fermement une masse sur un si joli minois ? Elle suscitait l'envie de tous, amis comme ennemis. C'était l'une de ses principales forces, et elle savait qu'elle devait à tout prix en abuser. » Et à chaque verre enfilé, ses formes et son visage se révélaient bien plus dans mes pensées, comme si les effluves d'alcool avaient cette faculté à éclaircir mes esprits et à gommer ce léger brouillard de mes souvenirs que je disposais d'elle. A vrai dire, et presque étrangement, la femme qui se tenait face à moi présentait de nombreux points communs avec cette Ara. : « Savez-vous que vous lui ressemblez ? » : D'un sourire niais, elle me rétorqua : « Je ne sais malheureusement pas à quoi elle ressemble. » : « Ah, si seulement je pouvais vous la montrer, vous comprendriez mieux. Vous comprendriez mieux aussi comment elle a su user de son charme pour m'amadouer et m'inciter à intégrer les rangs de sa faction. Imaginez-vous, dans une période où chaque clan était meurtri d'affrontements baignant dans le sang et la sueur, qu'un fier combattant défendant le blason du "bien " puisse, du jour au lendemain, rejoindre la cabale de l'ennemi de toujours. J'étais devenu le traître, l'homme à abattre, celui qu'il ne fallait tuer qu'après lui avoir fait profiter de toutes les souffrances possibles. Mais grâce à elle, j'ai aussi rejoins une véritable famille. Pourtant, qu'on se le dise, je n'avais nullement l'unanimité auprès de mes nouveaux compagnons. Il ne voyait en moi qu'un vulgaire pantin servant d'espion pour ma faction originelle. Néanmoins, et puisqu'elle voulait de ma présence proche d'elle, Ara a tout fait pour qu'ils acceptent cette requête, vantant mes qualités et ma puissance, laissant subtilement mes pêchés de confiance au second plan. J'insiste, mais comment ne pas tomber sous le charme ? Au-delà de sa beauté, bien évidemment. Elle avait également l'âme et la carrure d'une cheffe. Celle qui transcende et harangue une foule pour en tirer le meilleur. Celle qui écoute et conseille dans les moments de doute. Celle qui tend la main et te relève pour partir ensemble sur le droit chemin. Une femme exceptionnelle, et malheureusement unique. » : « Et j'imagine qu'elle a aussi disparu ... » : « Comme bon nombre de mes camarades. Vous vous rendez compte de l'importance des gens aimés que lorsque vous les perdez. Mais cette disparition a laissé bien plus de marques que pour les autres. Une douleur vive se dégage au moindre rappel de son visage. Elle avait tout pour réussir et accomplir sa propre destinée. Avec du recul, je constate que nos destins sont bien plus liés que je ne pouvais l'imaginer : elle a échoué, tout comme j'échoue aujourd'hui. Il faut croire que je m'inspire d'elle dans ses victoires comme dans ses défaites. Vais-je connaitre la même finalité, c'est-à-dire à périr dans l'indifférence la plus totale ? » : « Et pourquoi pas l'inverse. Pourquoi ne pas utiliser cette disparition comme moteur de votre conviction ? Vous battre pour vous mais aussi pour elle, pour tout ce qu'elle a fait pour vous, à vous soutenir au quotidien et à croire aveuglement en vos capacités, malgré vos défauts. Elle n'a pas réussi à atteindre son rêve, mais cette raison n'est pas suffisante pour que vous abandonniez le vôtre. Faites le pour vous mais aussi pour Elle, en l'honneur de sa mémoire. Rendez-lui tout ce qu'elle a fait pour vous. » Cette petite a du cran. Ces mots m'ont touché en plein cœur, remuant mon esprit d'une aura positive. Elle a raison. A l'évocation de cette pensée, mon visage s'est éclairci, malgré la pâleur de l'alcool qui jonchait mon visage, au point même d'en décrocher un léger rictus. Je devais me battre pour elle. : « Je me dois de partir, il se fait déjà tard. Au plaisir. » : « Attendez, permettez-moi au moins de vous demander votre nom ? » : « Dans cette vie, je m'appelle Soraya. » Dans cette vie ? A peine eu-je le temps d'assimiler cette phrase que la rôdeuse me fila entre les doigts. J'avais un cruel besoin de parler. Et il faut dire que cette confession m'a libéré d'un poids et m'a convaincu dans mon choix : celui de réussir, pour Ara et moi, ensemble, comme par le passé. « Pour nous, Ara. » Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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