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Terre des Éléments

Visions...


Guest Elessar Dîn
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Guest Elessar Dîn

L'ombre du chasseur danse sur les murs, mise en lumière par les torches et la lueur émanant des cristaux du Rachsräk. Insensible à cette aura menaçante, je poursuis ma route dans la mine légendaire des nains, mon arbalète se balançant dans mon dos au rythme de mes pas. Combien déjà se sont engouffrés dans les ténèbres du monde, à la recherche de l'or et de la gloire ? Je n'en sais rien. Du peu que je connais des hommes et des femmes qui rôdent sur ce monde, je peux toutefois en assurer l'avidité et la soif de reconnaissance, tous œuvrant dans ce but, sous couvert d'étendards et de morales qui ne servent qu'à les absoudre de leurs exactions les plus vicieuses, afin que le voile de la honte ne vienne assombrir leur cœurs si persuadés.

 

J'entends sans écouter les élucubrations d'un groupe d'individus croyant détenir la sainte vérité en ce monde. Je reconnais certains visages dans ce groupe, comme celui d'Exoriel, avec laquelle nous avions eu un différent sur la notion de fanatisme. Dans l'ombre de la caverne, je me permets de sourire : la puissance et l'empressement de ses mots ont quelque chose de fanatique aussi. Je ne comprends que mal comment peut-on voir quelque chose de mauvais dans le fait de voir ses actes et ses paroles dictées par une condition supérieure. Au moins suis-je fidèle à mes convictions, étranger à cette faculté d'embrasser ses idées lorsqu'elles nous conviennent, puis de les rejeter avec pertes et fracas lorsqu'elles ne nous conviennent plus. Toute cette connotation négative lorsqu'on parle des Sentinelles. Chaos, destruction, deuil, pleurs. Voici quels sont les apanages de notre Ordre.

 

Nul ne parle d'Avènement, de liberté, de volonté de l'Unique. Nul n'a lu les Enseignements, texte écrit d'un être jugé maléfique, et ne pouvant être que néfaste pour la communauté. Et, au fond, pourquoi le feraient-ils ? Tous profitent depuis tellement d'années du miasme collectif qu'ils ont eux-mêmes façonné, créant ainsi un système entier dans le seul but de justifier leurs actes sans le moindre intérêt collectif. La routine s'est emparée de ce monde depuis trop de temps déjà, et, si dans notre fougue nous avons cru être en mesure de changer ce comportement entré dans les mœurs collectives, nos échecs nous démontrent que l'état de ce Monde est pire que nous le pensions. La vérité, c'est que le Karma et les Factions ne sont que des mirages, inventés par ceux-là même qui les utilisent et revendiquent ouvertement la justesse de leur propos. Comme si finalement, nous devions nous excuser d'instaurer un mode de pensée différent, une façon d'explorer ce monde qui ne leur convient pas. Sentiment amer... Ils nous reprochent ce qu'ils font subir à ce monde depuis leurs débuts. Hypocrisie probable, stupidité certaine.

 

Je suis entré dans une salle sombre, qui gène chacun de mes mouvements. L'utilité de mon arbalète est réduite à néant, faute d'espace pour pouvoir la manier convenablement. Là, devant moi, un garde nain. Sans doute empêche-t-il les gobelins de passer. Ultime défense avant que ne s'effondre cet endroit mystique et intemporel. La corne de Raptocorne descend subtilement le long de mon poignet droit, dans ma manche, et en un éclair, se retrouve fichée dans la carotide du nain. Celui-ci s'effondre, et son cri pour prévenir ses congénères cachés dans la pénombre aux alentours se transforme en un gargouillis ignoble. J'essuie le tranchant de la corne, arme terriblement efficace au corps à corps, sur le bas de ma tunique, déjà souillé du sang de tellement de victimes. Les ennemis du Kulth sont légion. Hostiles à la compréhension, attachés à leurs pratiques vieillottes, amoureux de leur routine si pathétique : tous s'opposent aux Enseignements, prenant la vague de l'évolution de plein fouet, insensibles aux embruns.

 

Deux factions, déjà, se détachent par leur empressement à plonger dans les abîmes de l'oubli notre mont de la connaissance, piétinant les berges de notre savoir de leurs chausses encrassées. L'une, dont les paroles et l'intelligence semblent aussi claires et vives  que cette salle ténébreuse dont pas un bruit ne vient rompre l'angoisse, nous a fait parvenir une déclaration de guerre, par l'intermédiaire d'un soldat signant l'Itinérant, la chose étant assez curieuse pour qu'on la mentionne, sans doute une espèce de clochard recueilli par ces troublions en manque flagrant d'affection, vendant ses services au plus offrant. Mais, plus surprenante encore, la raison de cette guerre, semblant trouver son origine dans l'attaque, sans que toutefois le sang ne coule, contrairement aux affirmations du clochard, sans doute alcoolisé par l'ingurgitation d'une quelconque substance par notre Commandeur d'un vestige des temps anciens, véritable reliquat d'arrogance et de suffisance comme on en trouve tellement en ce monde où tous semble perdus.

 

Une deuxième, que nous tenons en haute estime du fait de certains membres que nous pensions de valeur, a démontré toute l'étendue de sa perfidie et de sa soif d'emprise. Une tentative d'infiltration, niée bien évidemment par l'espion, ombre qui déshonore les véritables Ombres de ce monde, ordre éteint et enfoui dans les sables du passé depuis si longtemps, démentie par les généraux de la faction. Comme si nous pouvions attendre qu'ils agissent avec honneur en avouant leurs intentions si avilissantes, eux qui se réclament les chevaliers de la lumière, les garants du souffle de la vie. Muni de ma flûte nouvellement acquise, trouvant refuge dans un endroit inexploré de la mine, j'adresse aux murs gris et aux cristaux enfouis l'ode de la trahison et de la méfiance, complainte doucereuse dont les notes se brisent contre la roche. Est-ce qui nous attends, nous autres Sentinelles ? Allons-nous nous échouer sur les rivages de l'incompréhension à force de naviguer en ces eaux tumultueuses et inconnues ?

 

Nous pouvons toutefois nous targuer de posséder le plus valeureux des capitaines. Un maître aux talents multiples, décidé à obtenir le meilleur de ses troupes. Une pensée pour chacun d'eux m'assaille. Je suis seul en cette mine, ayant résolu l'énigme du magicien fou. La solitude est mon fardeau, mon destin. Je l'ai toujours cru. Arpentant les plages d'Aqua en protégeant de loin Irenea, fouillant les forêts lugubres de Kiar Mar en essuyant les attaques honteuses de ber... membre de l'Alliance dont les attaques sans la moindre sommation ne furent pas relevées par notre Ordre... Nous aurions dû, afin de faire taire la rumeur naissante d'une faction chaotique attaquant toujours en premier. Comme toujours, il est plus facile de constater l'épine dans l'œil de son voisin, plutôt que le pieu dans le nôtre. La chasse motive tout mon être, depuis mon exil d'Ollathir. Une discipline pour laquelle je suis contraint à l'isolement, un art qui vit la création du Dîn, entité prenant le contrôle de mon esprit, conférant à mes gestes une précision diabolique. Une retraite, loin de la populace et de son tapage enfantin, qui me fit écrire les premiers Enseignements. Pas les derniers, dont l'écriture peine à venir, tant la motivation d'arpenter ces contrées que tout désigne comme étant perdues vient à disparaître. Suis-je en passe de devenir l'un des leurs ?

 

Même la présence du Dîn finit par s'estomper, donnant naissance à un frémissement au plus profond de mon être, une lumière illuminant la noirceur de mon âme et l'obscurité de mes propos. Longtemps, j'ai refusé de croire en ce sentiment presqu'imperceptible, opposant aux émanations de ce tressaillement toute la conviction de mon esprit. Avant de donner un nom à cet assaut dévastateur rompant toutes mes certitudes sentimentales : Sheelah. Où était-elle ? Avait-elle succombé aux côtés des gobelins ? Ou bien avait-elle préféré aider les nains, faisant encore la preuve de la liberté totale d'action et de pensée des Sentinelles ? Quelle autre faction avait pensé à intenter un procès face à l'Homme Mystérieux, origine supposée seulement de la mutinerie qui a ravagé le Protectorat de Melrath Zorac ? Quelle autre faction avait préféré, plutôt que lever la main sur l'inconnu, panser ses blessures au cœur du chaos de la bataille ?

 

Presque comme une des machines inventées par les nains, mes mouvements s'automatisent alors que je me rapproche de la sortie. Je fais finalement face au Roi des Nains, héritier séculier des richesses dont les gobelins sont privés depuis toujours. L'amalgame risible d'associer les peaux-vertes aux racines du mal est fréquent : il prouve juste le manque d'ouverture de ces esprits brumeux qui voguent sur les marais de la déraison. Mais il démontre aussi l'étendue du problème : tous, même et surtout ceux jurant s'en défaire, sont englués dans leurs considérations karmiques et morales, entravés par des règles édifiées voici près d'une décennie, alors que ce monde était différent... hérétique, déjà, mais différent, pas au bord de la rupture comme actuellement. Car je vois, je vois au-delà les monts perdus du Rachsräk, je vois au-delà du semblant de conscience collective, le précipice qui s'annonce, gouffre béant surplombant les abysses de l'esprit, n'attendant que ce qu'on s'approche du bord pour nous y engloutir.

 

Sans plus de remords ou de morale, donc, puisque ces fléaux furent montés de toutes pièces par ceux qui voulaient donner un sens à leur existence minable, j'ôte la vie du Roi des Nains, aveugle quant aux conséquences de mon acte. Je viens d'éteindre une lignée aussi vieille que la roche qui m'entoure, faisant preuve de ma brutalité. Non, de ma fatalité. Ce qui doit être fait, je le ferai. C'est ainsi, mon destin, la raison même de mon existence. Je suis ce que je suis, je fais ce pourquoi je suis fait. Pas pour moi, non, pas pour moi, mais pour la gloire du nom de Niue. Je n'ai que le temps de me réfugier sur le lac, que la mèche allumée grâce au pouvoir du feu atteint le tonneau de poudre. Stoïque, je tente de rester là, mais le souffle de l'explosion m'arrache du sol, tel un bolet à ses racines. Revenant à moi, je ne distingue plus les parois rocheuses de la caverne abritant le lac. A mes pieds, un objet pour le moins curieux, roulé. Comme une sensation de déjà vu. Impression tenace, qui me poursuit dans tous mes voyages. L'assurance de connaître cette situation. Le début de la fin.

Modifié (le) par Elessar Dîn
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Le Rachsräk... Le Dîn s'y est enfoncé, comme toujours en compagnie de Mach Gulam. D'autres ont dû les rejoindre, puisqu'à part Dryas, je ne vois personne dans notre demeure. L'engouement qui pousse encore et encore mes camarades à être parmi les premiers à participer aux actions qui se passent sur ces terres me permettent de cacher, pour quelques temps encore, le mal qui me ronge. 
 
Quelques jours passent avant que je ne me sente la force de me lever et de me diriger vers cet endroit où les aventuriers de cette terre semblent s'être agglutiner. Comment pourrais-je les traiter de moutons quand je me vois les imiter, pressée de découvrir ce lieu que certains murmurent être magnifique ?
 
Et c'est en effet ce qu'est ce lac souterrain, un lieu magnifique à mes yeux. Comment la terre peut-elle cacher de tels secrets ? Faut-il voir ici l'œuvre de l'Unique ?
 
A voir les reflets de je ne sais quelle lumière sur les flots, la couleur de ses fonds, je me sens l'envie de partager ce moment, de sentir à mes côtés une présence. Mais je commence à connaître le Dîn, et je me doute qu'il doit avoir déjà déjoué tous les pièges de ce lieu. Ce n'est pas pour rien qu'il se tient si proche de Mach Gulam. Ce dernier sait choisir les gens qui l'entourent, et je ne peux qu'approuver le choix qu'il a fait en prenant le Dîn comme Inquisiteur. 
 
Je n'ai pour ma part pas la capacité du Dîn, et mets un temps considérable à franchir enfin la première porte. Arrivée dans une nouvelle cavité, je parcours lentement les lieux, ébahie de voir tant de monde. En passant, je vois au sol un nain, agonisant. Il s'agrippe à mon pied, me demande de l'aide. Je sens un regard, plus présent, posé sur moi. Un gobelin, plus loin. 
Oui, ce doit-être un gobelin. D'une secousse, je me libère de la poigne bien faible du nain. 
 
-Je ne peux soigner la mort, dis-je au nain.
 
Puis je me dirige vers le gobelin, d'un pas un peu traînant. Se concentrer sur le gobelin, uniquement sur le gobelin... Ne pas quitter son regard. Oublier qu'il n'y a pas que la mort que je ne sais soigner. Oublier ce mal qui me ronge, qui me ralenti. Se maintenir debout, comme si de rien était. 
Et sourire.
Même si sourire à un gobelin peut paraître étrange. 
 
La suite se passe avec une lenteur identique, parsemée d'échanges avec Elessar qui, devinant sans doute mon manque de logique, me propose une aide plus que bienvenue. Je prends cette affaire avec insouciance, et ce n'est qu'en entendant un des gobelins prononcer deux simples mots que mon intérêt pour l'affaire prend un angle nouveau. 
 
Ainsi donc, il se ferait appeler l'Architecte... 
 
Quelles peuvent-être les raisons qui le poussent à agir ici ? Je ne vois pas d'autres solutions que de continuer pour le découvrir. D'où me vient cette curiosité que je ressens dès lors que j'entends parler de cette personne ?
 
Mes pérégrinations dans ces lieux continuent, pendant lesquelles je me bats parfois, tantôt avec des nains, tantôt avec des gobelins. Seule l'envie de découvrir les tréfonds de cette affaire me fait continuer à aider les gobelins. Et puis, cela me fait de l'entraînement, moi qui en manque terriblement. Ainsi, je passe le temps à combattre les gobelins, qui semblent ravis de trouver en moi un adversaire. Chacun à note tour, eux plus souvent que moi, nous nous retrouvons à terre, blessé, assommé par les sors ou les attaques des uns et des autres. 
 
C'est au cours d'un de ces combats que je me suis retrouvée avec une oreille à la main, détachée du reste du crâne de son propriétaire. Le gobelin ne semble pas s'y intéresser plus que ça et je vais pour la jeter lorsqu'une idée me vient à l'esprit. Idée que je n'aurais pu avoir avant de le rencontrer... 
 
Ainsi, cette oreille trône à présent au cou du Dîn, étrange cadeau que je n'aurais jamais pensé faire. 
Et le souffle de l'explosion me projette. Nous projette tous. 
Un rire s'échappe de mes lèvres, un rire emprunt de peur au départ, un brin hystérique, mais qui peu à peu décharge la tension accumulée en moi. Il nous a bien eu. Et je pense à Mach Gulam, me disant que ça aurait pu être là une de ces idées. Il nous a bien eu... Et c'est une bonne chose. 
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